Rémunération des Dirigeants de SEL : l’histoire (de l’échec) du choc de simplification…
Mise à jour : Rescrit Avocats 16/11/2023
9 mois après sa saisine la DLF apporte quelques réponses partielles :
- déclaration 2035 obligatoire
- pas de CFE
Mise à jour : Communication de l'Ordre des Experts-Comptables 27/11/2023
- la ventilation de la rémunération entre mandat et fonctions techniques est le principe applicable à tous les Associés de SEL même pour les SELARL, dès 2024
- l'Administration devrait communiquer un taux de ventilation forfaitaire permettant d'éviter toute remise en cause
- la transformation en SELARL est définitivement inutile.
L’histoire…
Tout commence en 2013 : le Conseil d’Etat [1] tente de rattacher la rémunération du Professionnel Libéral exerçant au sein d’une SEL au régime BNC mais la rédaction de l’arrêt est assez peu précise pour ne pas inquiéter.
En Décembre 2017, le Conseil d’Etat [2] renouvelle sa position. Cette fois, le monde des Professions Libérales s’en émeut et, en attendant des précisions de l’Administration (qui ne viendront jamais), par mesure de précaution, nos Pharmaciens dirigeants de SELAS sont inscrits au CGA (pour rappel, à l’époque, les BNC non inscrits étaient taxés sur 125% de leurs revenus).
Mais l’Administration ne réagit pas et les rémunérations des dirigeants de SEL restent imposées sous le régime historiquement appliqué pour les années suivantes.
Le 15 Décembre 2022, séisme au sein de la doctrine fiscale ! La DGFIP publie une mise à jour du BOFIP [3] en indiquant, 5 ans après, qu’en application des Jurisprudences de 2013 et 2017, les rémunérations des Professionnels Libéraux exerçant en SEL seront imposables à compter du 1er Janvier 2023 :
au titre de leur mandat : en Salaire ou en Article 62, selon leur structure juridique => pas de modification ;
au titre de leur activité libérale : en BNC, pour toutes les SEL => (r)évolution.
La doctrine fiscale est laconique : mis à part le régime fiscal applicable (et une tolérance rédigée en 3 lignes sur laquelle nous reviendrons), l’Administration n’apporte aucune autre précision sur les modalités d’application d’un texte révolutionnaire qui doit donc s’appliquer 15 jours après sa publication à tous les professionnels libéraux exerçant en SEL.
La levée de bouclier des Professionnels Libéraux conduit l’Administration à modifier sa doctrine… mais uniquement en termes de délai !
Dans un élan de mansuétude, le 5 Janvier 2023, du fait que, en 15 jours seulement et sans aucune précision, « certains contribuables n’étaient pas en mesure de mettre en œuvre ce régime » (sic) , l’Administration accepte de reporter l’application obligatoire au 1er Janvier 2024.
Ce report laissait présager d’une prise de conscience de l’Administration : il n’en est rien.
Le retour en arrière espéré n’a pas eu lieu. Mais surtout, en 10 mois, l’Administration n’a jamais précisé les modalités à respecter ! Seules des informations parcellaires et toujours insuffisantes ont été transmises en Juillet 2023.
A ce jour, il reste encore de nombreuses zones d’ombre pour savoir exactement quel régime est à appliquer et surtout comment l’appliquer. Nous y reviendrons dans la suite de cet article.
La dualité du Pharmacien et ses conséquences sur les régimes sociaux et fiscaux
En tant que Pharmacien Titulaire exploitant une SEL, la rémunération perçue couvre deux éléments :
La rémunération des fonctions de dirigeant de cette structure (rémunération de MANDATAIRE SOCIAL : Gérant, Président ou Directeur Général)
La rémunération de l’exercice de la fonction de Pharmacien (rémunération de l’activité LIBERALE)
Jusqu’au 31 Décembre 2023, cette distinction n’a de réels effets que pour les dirigeants de SELAS et uniquement d’un point de vue social depuis une prise de position de l’ACOSS [4] :
La rémunération du mandat est soumise au régime du bulletin de paie, plus gourmand en charges sociales ;
La rémunération de l’activité libérale est soumise au régime des TNS.
D’un point de vue fiscal, pour les SELARL et les SELAS, les deux éléments de rémunérations sont soumis à des régimes similaires (régime des Traitements et Salaires et régime de l’Article 62 du CGI) qui permettent tous deux de déduire les frais professionnels forfaitaires à hauteur de 10% dans la limite de 13 522€.
🚨A compter du 1er Janvier 2024, le régime fiscal de l’article 62 est remplacé par le régime de l’article 92 du CGI pour tous les dirigeants de SEL.
Passer de l’article 62 à l’article 92 aurait pu n’être qu’une question de case sur la déclaration fiscale ou de rhétorique…
C’était sans compter l’appât du gain de la DGFIP : en effet, dans le régime des BNC, interdiction de déduire forfaitairement les frais professionnels à hauteur de 10% !
Mais qui dit BNC dit aussi en théorie :
Création d’une Entreprise Individuelle et surtout obtenir la reconnaissance de cette structure vide auprès des organismes dont l’URSSAF…
Tenue d’une comptabilité BNC
Etablissement et télédéclaration annuelle d’une liasse fiscale 2035
Existence fiscale autonome, donc soumission éventuelle à la TVA et à la CFE
Ouverture éventuelle d’un compte bancaire séparé tant du compte de la Pharmacie que du compte personnel du Pharmacien, compte sur lequel devrait éventuellement transiter la rémunération brute (rémunération + TNS) prévue pour le Titulaire avant qu’il puisse la récupérer sur son compte personnel.
Modification auprès de toutes les caisses TNS du RIB de prélèvement.
Que le choc de simplification est loin ! Tant pour le professionnel libéral que pour ses Conseils…
Etat actuel des informations transmises par l’Administration
Malgré toutes nos démarches afin de clarifier les conséquences pratiques depuis 10 mois, malgré une veille juridique constante depuis la parution de ce BOFIP, malgré plusieurs consultations prises par nos Experts auprès de plusieurs avocats spécialisés en professions libérales et auprès de CMS Francis Lefebvre, malgré plusieurs rescrits déposés auprès de l’Administration, les modalités pratiques applicables et les conséquences financières exactes sont toujours floues, sauf quant à la perte de la déduction forfaitaire des 10% qui elle est certaine.
Les seules certitudes obtenues de la part de l’Administration en juillet 2023 sont :
que les prestations facturées par l’entreprise individuelle à la SEL ne seront pas soumises à la TVA (ce qui évite au professionnel libéral et à son conseil des déclarations mensuelles)
et qu’il n’y aura pas d’obligation d’établir des factures (ce qui évitera des contraintes administratives inutiles).
La position de l’Administration sur ce qu’elle attend suite à sa nouvelle position doctrinale se fait toujours attendre sur certains points :
Quelles sont les obligations comptables ?
Un compte bancaire autonome sera-t-il nécessaire et les revenus devront-ils transiter sur ce compte ?
Une déclaration 2035 devra-t-elle être télédéclarée ?
Quelles seront les formalités pour la création des Entreprises Individuelles ? Un SIRET sera-t-il nécessaire ?
Cette nouvelle Entreprise Individuelle sera-t-elle soumise à la CFE ?
Quid des titres de SEL détenus personnellement par le Pharmacien Titulaire ?
Mise à jour : Rescrit Avocats 16/11/2023
- L'établissement et la télé-déclaration d'une 2035 est obligatoire (sauf si les revenus bruts du Professionnel Libéral sont inférieurs à 77k€, ce qui lui permet de bénéficier du régime de micro-BNC et de s'exonérer du dépôt de la déclaration 2035 ET qu'ils étaient inférieurs à cette limite les deux années précédentes)
- pas de CFE pour le Professionnel Libéral
Devant l’incongruité de cette doctrine qui crée une grande quantité de questions, les différents Ordres professionnels se sont mobilisés. Notamment, l’Ordre des Experts-Comptables a proposé une solution de déclaration simplifiée de la rémunération nette directement dans la case correspondante de la déclaration de revenus, c’est-à-dire de supprimer l’obligation de télédéclaration d’une 2035.
Certes, cette solution aurait l’avantage d’être la plus simple mais comment dans ce cas justifier les recettes et les dépenses ? Quelles seront les modalités d’un futur contrôle ?
En résumé, aujourd’hui, il n’y a aucun moyen d’anticiper la mise en place pour Janvier même si nous sommes à deux mois de la date d’application exigée.
Si, par exemple, l’Administration acceptait la position de l’Ordre des Experts-Comptables, l’ouverture dès aujourd’hui d’un compte bancaire et la préparation des démarches en vue d’une télédéclaration de la déclaration 2035 seraient couteuses et inutiles.
SELAS, SELARL, même combat ?
Sans véritable justification, la DGFIP a prévu une exception dans sa mise à jour du BOFIP, rédigée sous la forme d’une remarque :
Selon cette tolérance, à la seule et unique condition que le contribuable puisse justifier qu’il est dans l’incapacité de distinguer la part de sa rémunération provenant de son mandat de celle provenant de son activité libérale, le Pharmacien gérant de SELARL aura la possibilité de choisir d’appliquer le régime s’appliquant au mandat à la totalité de sa rémunération, ce qui signifie rester sous le régime de l’Article 62 et conserver la déductibilité des 10%.
Ce choix est de sa responsabilité : étant donné que cette option prévue est une exception à la doctrine, son interprétation ne peut qu’être stricte et la charge de la preuve de l’incapacité de distinction des rémunérations pèse sur le Pharmacien.
Dans les faits certes, un chef d’entreprise ne déclenche pas un compteur de temps quand il agit en tant que mandataire et un autre quand il agit en tant que Pharmacien… La distinction est donc très difficile à réaliser.
Cependant, il est certain que la quasi-totalité de la rémunération d’un Pharmacien (et de la majorité des Professionnels Libéraux) provient de son activité libérale. C’est même à ce titre que les Sages de la Cour de cassation ont décidé le 19 Octobre dernier que les dividendes versés par une SEL à la SPFPL du professionnel libéral étaient constitutifs eux aussi de son revenu d’activité (sous entendu d’activité libérale), n’hésitez à retrouver nos articles à ce sujet .
Ne pourrait-ce donc pas être par facilité que l’Administration a ajouté cette remarque qui est peu cohérente avec la réalité ? Quelle autre justification que de tenter d’éviter de nombreuses questions et de permettre une mise en application immédiate de la nouvelle position doctrinale? Avant une probable nouvelle mise à jour dans les mois/années à venir qui pourrait supprimer cette tolérance et aligner les dirigeants de SELARL sur ceux des SELAS…
Par ailleurs, pourquoi la distinction entre la part de rémunération provenant du mandat et celle provenant de l’activité libérale serait-elle plus difficile à réaliser pour un gérant de SELARL que pour tous les autres dirigeants de SEL ? Quelle justification à un tel traitement différencié entre deux Pharmaciens Titulaires, l’un gérant de SELARL et l’autre président de SELAS ?
N’oublions pas que les dirigeants de SELAS sont forcés de distinguer leur rémunération.
En Janvier 2010, une circulaire de l’ACOSS (doctrine de l’URSSAF) a expressément prévu que les dirigeants de SELAS doivent distinguer leur rémunération pour soumettre :
La partie relative au mandat aux cotisations du bulletin de paie, recouvrée par l’URSSAF Salariés et l’AGIRC-ARRCO ;
La partie relative à l’activité libérale aux cotisations TNS, recouvrée par l’URSSAF Non Salarié et les caisses de retraite libérales (dont la CAVP)
L’URSSAF ne prévoit donc aucunement l’incapacité de distinction.
Ainsi donc, tout dirigeant de SELAS réalise à chaque fois cette distinction entre mandat // activité libérale :
0 // 100% | 100% // 0 | 1/6 // 5/6 |
---|---|---|
= toucher la totalité de sa rémunération au titre de son activité libérale (=> aucun bulletin de paie) : sa fonction de mandataire ne mériterait aucune rémunération | = toucher la totalité de sa rémunération au titre de son mandat (=> totalité de la rémunération sur son bulletin de paie) : sa fonction libérale ne mériterait aucune rémunération | = répartir (souvent forfaitairement) sa rémunération entre les deux fonctions |
Les deux premiers cas présentent un risque d’un point de vue social car ils ne respectent pas la circulaire de l’ACOSS et chacune des caisses lésée (l’URSSAF Salarié dans le premier cas, l’URSSAF non salarié dans le second cas) est fondée à aller remettre en cause la répartition choisie. A noter que le deuxième cas (totalité sur le bulletin de paie) est le plus risqué.
Mais, dans tous les cas, la distinction est réalisée… et donc réalisable ! C’est pour cette raison que l’exception n’est prévue que pour les SELARL. Elle ne peut exister pour les SELAS.
En conclusion, comme rien ne justifie aujourd’hui de prévoir un traitement différent entre deux Pharmaciens du seul fait de leur exercice sous des structures juridiques différentes, il est fort à parier qu’un alignement devrait intervenir et que les gérants majoritaires de SELARL aient eux aussi à créer leur entreprise individuelle…
Et si on pouvait éviter l’entreprise individuelle ?
Certains ont tenté de pallier cette (r)évolution en cherchant des solutions pour éviter l’application des nouvelles règles qui ont un vrai coût fiscal (nonobstant le coût administratif).
Etant donné qu’une exception est prévue pour les SELARL, est-ce qu’il ne suffirait pas de se placer sous le régime de la SELARL en modifiant les statuts ?
Comme toujours en matière fiscale, tenter d’éviter l’application d’une règle fiscale est risqué et doit être réalisé avec tact et mesure en vérifiant que toutes les conditions sont réunies pour que le montage réalisé ne puisse être considéré comme ayant un but exclusivement fiscal (abus de droit) ou principalement fiscal (mini-abus de droit).
Dans le cadre d’une règle provenant de la doctrine fiscale, il faut s’attacher à prouver que le montage (ensemble de mesures/modifications entreprises) n’est pas artificiel et n’a pas pour but d’éluder un impôt moins avantageux.
Comment justifier la modification des statuts ? alors que la SELARL est quasiment alignée sur la SELAS, tout en étant plus rigoureuse.
Comment argumenter sur le fait qu’avant la transformation juridique, en SELAS on savait distinguer les rémunérations et, qu’à compter de cette transformation purement formelle en SELARL, on ne sait plus le faire ?
Comment enfin se prémunir contre un alignement futur de traitement à celui des présidents de SELAS et dans ce cas justifier d’avoir supporté des coûts de transformation ?
Pourquoi prendre ce type de risque alors que le régime des SELARL n’est pas plus avantageux ?
Il est plus rigoureux en termes de clauses statutaires, il ne permet pas l’émission d’outils financiers complexes (OCA), il est plus gourmand en termes de droits d’enregistrements en cas de cession.
Attention donc au chant des sirènes…